Viande rouge et cancer : danger ?

Récemment, les articles sur la viande rouge ont fait scandale. Cancer, obésité, hypercholestérolémie …. Les termes les plus effrayants planent au-dessus du moindre steak haché. Des annonces assez effrayantes. En 2018, le World Cancer Research Fund conclu à un risque « convaincant » de la charcuterie et « probable » de la viande rouge pour le cancer colorectal. En 2015, le Centre International de Recherche sur le Cancer a classé la charcuterie comme « cancérigène pour l’homme » et la viande rouge comme « probablement cancérigène ».  Les résultats publiés dans l’International Journal of Cancer montrent que le risque de développer un cancer du sein augmente avec la consommation de viande rouge. Les 20% de personnes consommant le plus de viande rouge verraient leur risque global de développer un cancer augmenter de 30% par rapport à ceux qui en mangent le moins (1).

Des résultats à interpréter avec précaution

Il y a de quoi avoir peur. Les experts pensent avoir suffisamment d’indications convaincantes en faveur d’une augmentation du risque de cancer chez les personnes consommant beaucoup de viande rouge. Mais attention ! Cette classification se fonde sur des indications limitées provenant d’études épidémiologiques. Les autres agents cancérigènes ne sont, le plus souvent, pas pris en compte. En épidémiologie, on parle de « biais ». S’il ne s’agit pas de stigmatiser un comportement, il est possible que les grands amateurs du barbecue et de la côte de bœuf consomment aussi plus d’alcool. Ou bien qu’ils soient plus adeptes des soirées télé que de la marche à pied. Les autres facteurs de risque de cancer, tels l’alcool, la sédentarité, les antécédents familiaux ou encore le tabac, ne sont souvent pas analysés. De quoi mettre en doute la validité de ces résultats…

D’autant que le risque de cancer ne dépend pas uniquement de notre assiette. La multiplicité des facteurs de risque et la complexité des liens de cause à effet, les nombreuses interrogations qui persistent en ce qui concerne les coexpositions, font qu’il est difficile de tirer une conclusion définitive entre un aliment et le risque de cancer.

La viande « tue » moins que le tabac

Si la viande rouge pourrait être responsable de 50 000 décès par an selon l’organisme de recherche indépendant Global Burden of Diseases Project, le tabac est la cause d’un million de décès par cancer dans le monde. N’oublions pas les 600 000 décès imputables à l’alcool et les 200 000 liés à la pollution atmosphérique. Enfin, souvenez-vous que la plupart des études qui avancent un sur-risque de cancer chez les carnivores sont faites dans des pays où les portions consommées n’ont rien à voir avec celles de nos assiettes.

Et quid des ersatz de viande ?

Les industriels de l’agroalimentaire se sont emparés de l’occasion. La mention « veggie » fleurit sur les emballages et à la carte des restaurants. En forme de saucisse, boulette ou haché, ces substituts de viande n’en ont que la forme, approximativement le goût. Sont-ils nutritionnellement recommandables ? Soyez un peu curieux et regardez-y de plus près. Vous trouverez certainement dans ces produits un nombre incommensurable de conservateurs, additifs et produits de synthèses. A l’inverse de la viande rouge, ils contiennent additifs, colorants, exhausteurs de goût, et gélifiants. Pourquoi pas des épaississants pour assaisonner le tout. Souvent, un tiers de la masse du produit est…de l’eau. Apport en vitamines et minéraux ? De façon générale, ces ersatz de viande ne correspondent pas aux critères nutritionnels.  Ils contiennent très peu, voire pas du tout, d’éléments nutritionnels essentiels tels que le fer et le zinc, avec en contrepartie une forte teneur en sel et additifs.

Doit-on tous devenir végétarien ?

Indubitablement, nous assistons à une nouvelle peur collective. Rares sont ceux qui ne regardent pas le moindre morceau de bœuf avec un œil suspicieux. Arrêter de manger de la viande rouge serait-il la solution ? Rien n’est moins sûr. Se priver de viande rouge n’est pas sans risque. La viande est une source importante d’acides aminés essentiels indispensables. Elle apporte aussi du zinc, du fer et de la vitamine B12. Un manque en fer ou vitamine B12 peut entrainer une anémie, avec fatigue, essoufflement, vertiges et palpitations.

Un régime végétarien n’est ni une assurance longue vie ni un pare feu contre le cancer. Mal conduit, il peut entrainer des problèmes de santé pouvant s’avérer graves à long terme. Les carences en acides aminés essentiels et en minéraux, apportés par la viande rouge, sont responsables de fonte musculaire, anémie, fractures.

N’oubliez pas que les médias choisissent les résultats qu’ils publient. On peut choisir de tirer à boulet rouge sur la viande rouge. Mais d’autres scientifiques révèlent les dangers du végétarisme mal conduit. Une étude menée en Australie a montré qu’un mode d’alimentation végétarien est associé à une moins bonne santé, avec une plus forte incidence des cancers, des allergies, et des troubles psychologiques. Les végétariens font plus appels aux soins médicaux et auraient une moins bonne qualité de vie (2). On entend tout et son contraire. De quoi être perdu….

Aucune raison donc d’arrêter de manger de la viande rouge. Elle apporte à l’organisme les acides aminés essentiels, des vitamines du groupe B et du fer, ou encore du zinc, qu’il est difficile de trouver si on se nourrit uniquement de végétaux. Certes, certains légumes et céréales contiennent du fer, mais sa biodisponibilité est loin d’être optimale. Les fibres contenues dans ces aliments interfèrent aussi avec l’absorption du précieux minéral. Alors, en pratique ?

Garder la tête froide

Plutôt que de se laisser manipuler par tous ces discours médiatiques, essayons de garder la tête froide. Ce n’est pas manger de la viande qui est mauvais, mais manger TROP de viande. Le sur-risque n’interviendrait que pour une consommation de 200 grammes de viande et plus par jour, contre une à deux fois par semaine.

Pas question de s’imposer un régime végétarien. Ce serait se priver d’une source précieuse de vitamines B, fer et acides aminés essentiels. Privilégier les viandes de qualité et limiter sa consommation à une à deux fois par semaine parait bien plus judicieux.

Surtout, ne mettez pas toutes les viandes dans le même panier ! Sous le terme de viande se cachent des aliments aussi différents qu’une côte de porc, un sauté d’agneau, un steak haché, des nuggets de poulet ou encore une saucisse à base de déchets de viande mixés recomposés. Ces derniers font partie des aliments ultra transformés. Sel et nitrites sont ajoutés au cours de la préparation. Les additifs et le mode de préparation de ces aliments ultra transformés sont bien plus nocifs pour la santé que la viande rouge de votre boucher. Le mode de cuisson a aussi un rôle. Trop cuites, brûlées, les viandes développent certains composés potentiellement cancérigènes, sans que ce soit la viande en elle-même qui soit responsable de ce risque.

Limiter et choisir : sans doute la meilleure solution

Limitez votre consommation de viande rouge à une ou deux fois par semaine, en choisissant une viande de qualité. Une consommation raisonnée limite le risque de problèmes de santé et permet de conserver le plaisir de manger.

La viande n’est pas nécessaire à tous les repas. Associez-y une source de glucides à assimilation lentes comme un peu de riz, et des légumes. Votre assiette sera savoureuse et parfaitement équilibrée. Limitez les grillades et choisissez soigneusement vos morceaux. Associez viande rouge, volaille, et brochette de légumes pour un barbecue savoureux, varié et équilibré. Et avant de foncer au rayon des steaks végétaux, regardez leur composition. Rares sont ceux dont la liste d’ingrédients ne s’étale pas sur plusieurs lignes. Ces substituts de viande sont souvent des produits très transformés. Bien moins bons pour votre santé qu’un simple morceau de bœuf de votre boucher !

Une dernière chose : de nouvelles recommandations américaines concluent à l’absence de risque de la consommation de viande rouge et charcuterie sur la santé, contredisant toutes les données sur le sujet (3). Le débat est finalement une affaire d’opinion plus que de science.

Dr Pradère – Médecin thésé en Santé Publique

Références

1. Diallo A, Deschasaux M, Latino-Martel P, Hercberg S, Galan P, Fassier P, Allès B, Guéraud F, Pierre FH, Touvier M. Red and processed meat intake and cancer risk: Results from the prospective NutriNet-Santé cohort study. Int J Cancer. 2018 Jan 15;142(2):230-237

2. Nathalie T Burkert, Johanna Muckenhuber  1 , Franziska Großschädl, Eva Rásky, Wolfgang Freidl. Nutrition and Health – The Association Between Eating Behavior and Various Health Parameters: A Matched Sample Study. PloS One. 2014 Feb 7;9(2):e88278.. doi: 10.1371/journal.pone.0088278. eCollection 2014.

3. Bradley C Johnston, Dena Zeraatkar, Mi Ah Han, Robin W M Vernooij, Claudia Valli, Regina El Dib Catherine Marshall, Patrick J Stover, Susan Fairweather-Taitt, Grzegorz Wójcik, Faiz Bhatia, Russell de Souza, Carlos Brotons, Joerg J Meerpohl, Chirag J Patel, Benjamin Djulbegovic, Pablo Alonso-Coello, Malgorzata M Bala, Gordon H Guyatt. Unprocessed Red Meat and Processed Meat Consumption: Dietary Guideline Recommendations From the Nutritional Recommendations (NutriRECS) Consortium. Ann Intern Med. 2019 Nov 19;171(10):756-764.